Employeurs et salariés, nouveau contrat social ?

Bernard Vivier, directeur de l’Institut Supérieur du Travail, sera l’invité de notre événement L’Entreprise Fait son Show ! Il questionne notre rapport au travail, ses mutations et l’évolution du dialogue social en entreprise.

Ude Info : Bernard Vivier, la « Grande Démission » prend parfois des formes extrêmes aux Etats-Unis. Comment analyser ce phénomène qui se dessine en France ?

Bernard Vivier : Ce phénomène, qui touche autant les petites entreprises que les grandes, prend de l’importance en France et marque l’actualité. Pourquoi ? D’une part, quand l’économie va mieux, cela rapproche du plein emploi : nous sommes à 7,4 % de chômage alors que nous étions à 9 % il y a 2 ans. Les pouvoirs publics visent un taux de chômage dit « frictionnel » de 5 %.

D’autre part, on assiste à une évolution lente des modes de travail. Les nouvelles générations ne se projettent pas toute une vie dans la même structure, sont moins attachées à l’entreprise, plus mobiles et accordent de l’importance à l’équilibre avec leur vie personnelle.

Dans ce contexte, les rapports de force entre salariés et employeurs évoluent. Il est plus aisé de démissionner et de retrouver rapidement un emploi. Dorénavant, le salarié va se demander ce que l’entreprise va pouvoir faire pour lui avant de se décider : aménagement des horaires, télétravail, avantages…

Comment les TPE-PME peuvent-elles s’adapter à ces nouvelles règles du jeu ? Est-ce tenable ? Notre taux de chômage dans les Alpes-de-Haute-Provence reste élevé*, pour autant, les entreprises peinent à recruter.

Les grandes entreprises sont beaucoup plus habituées à l’instabilité permanente dans leur fonctionnement. À l’inverse, les TPE-PME plus dans la permanence, ont une véritable relation avec leurs salariés : les ordres ne viennent pas d’un PDG non identifié à l’autre bout du monde. La notion d’appartenance des équipes est plus forte et les qualités des relations, plus directes, sont un atout selon moi.
Une autre carte à jouer, dans une période où le « cadre de vie » est devenu un aspect essentiel, est l’attractivité de votre territoire : rural et magnifique.
En revanche, les petites entreprises n’ont pas forcément les services RH en interne pour s’adapter aux nouvelles exigences des salariés : management différent, aménagement du temps de travail, facilitation du télétravail, temps partiel pour création d’autoentreprise. C’est pourquoi, il est essentiel pour elles d’être accompagnées et de se rapprocher des réseaux d’entrepreneurs (fédérations, syndicats patronaux).

 

Si la beauté du territoire est un atout pour notre département, la ruralité et les problèmes de mobilité (transports) sont un réel frein à l’embauche pour nos entreprises. Quels sont leurs leviers d’action pour recruter ?

Les marges de manœuvres des TPE-PME sont limitées sur l’augmentation des salaires, au vu des lourdes charges qui pèsent sur elles. Elles ont pourtant des leviers à actionner, tant pour fidéliser et empêcher un départ, que pour recruter.
Je pense, par exemple à l’intéressement, l’épargne salariale, la formation. Il faut aussi faciliter l’accès au logement et avancer sur des solutions de prise en charge des trajets domicile-travail pour salariés contraints d’utiliser leur véhicule.

Peut-on considérer la crise Covid comme un accélérateur de changement dans les modes d’organisation du travail ?

Tout à fait. Il est difficile d’accepter le changement ! Cette crise nous a obligés à recourir à des technologies que nous connaissions, mais que nous n’étions pas prêts à normaliser : visioconférence, dispositifs de télétravail… On s’est aperçu que certaines tâches pouvaient être effectués à distance.
Après la crise Covid, ces outils, devenus habituels, se sont intégrés dans l’organisation du travail. De la même façon qu’Internet nous semble avoir toujours existé, alors que cette technologie est plutôt récente pour le grand public… à peine plus de 20 ans !
Ces changements sont une opportunité pour les TPE-PME du tertiaire. Ils permettent de « fluidifier » la vie au travail. Sur ces aspects-là, il faut raisonner en termes de secteur d’activité – tout n’est pas « télétravaillable » – plutôt qu’en taille d’entreprise.

Le télétravail peut-il déliter le sens du collectif en entreprise et au-delà, l’engagement citoyen ?

Si les salariés sont moins présents en entreprise avec le télétravail, il est important de savoir organiser les temps de collectif nécessaire à la bonne marche de l’entreprise et des missions. Si le lien est maintenu, cela peut être positif, et éviter des tensions liées à la promiscuité entre salariés.
Dans notre société, la notion d’engagement évolue à plusieurs niveaux, pas seulement dans la sphère du travail, c’est complexe. On remarque que les grands corps de l’Etat peinent à recruter : armée, gendarmerie, justice, santé… Or, c’est moins un problème de vocation et d’attrait du métier, que le résultat d’un système mal géré ! Ces administrations sont figées, mauvaises gestionnaires, au dépend des forces vives qui sont découragées à l’avance de les intégrer, ou qui les quittent prématurément, désabusées.

 

 

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